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Afriland First Bank CD : imbroglio juridique ou projet d’expropriation (Enquête)

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L’actualité financière en République Démocratique du Congo (RDC) est dominée par l’affaire Afriland First Bank CD. Ces dernières semaines ont été riches en événements qui ont connu leur apothéose le 20 juin 2022, lorsque le gouverneur de la Banque centrale du Congo Marie France Malangu Kabedi Mbuyi (Photo) publiait un avis au public annonçant  la mise sous administration provisoire d’Afriland First Bank CD.

Comment en est-on arrivé là ? Pour répondre, nous avons procédé par questionnement, remontant le temps et reconstituant la chronologie des événements.

Au commencement était une suspension

Le repère initial, c’est le 1er juillet 2021, quand le président du Conseil d’administration, Joseph Toubi, en poste depuis 17 ans, suspend à titre conservatoire le directeur général d’alors Souaibou Abary. Le gouverneur de la Banque centrale réagit le lendemain en annulant la suspension du directeur général et en retirant l’agrément du président du Conseil d’administration. Depuis ce jour-là, Afriland First Bank CD n’a plus de PCA. Le conseil d’administration,  l’organe délibérant, comptait 8 administrateurs au 1er juillet 2021, il n’en comptait plus aucun à la date de la mise sous administration provisoire.

Progressivement, entre juillet et septembre 2021, la BCC a retiré l’agrément de tous les autres membres du conseil d’administration.

La direction générale, qui est l’organe exécutif, est également vacante. Le Directeur général suspendu puis rétabli dans ses fonctions par la BCC est décédé le 22 octobre 2021. Directeur général adjoint entre le 11 mars 2019 et le 1er juillet 2021, Patrick Kafindo a été désigné directeur général par intérim le 1er juillet 2021 avant d’être définitivement écarté par les actionnaires majoritaires en janvier 2022. La banque n’a donc ni directeur général ni directeur général adjoint.

Nous nous sommes demandé dans quel état se trouvait la banque le 1er juillet 2021. Pour répondre à cette question, nous avons consulté un rapport officiel publié par la Banque centrale du Congo. Publié en août 2021, ce rapport officiel présente la situation du marché bancaire congolais au 30 juin 2021. On y apprend qu’Afriland First Bank CD occupait la 7ème place sur un total de 15 banques commerciales. Elle disposait de 9,12% des parts de marché du crédit et de 3,3% des parts du marché des dépôts. La BCC affirme dans ce rapport officiel que les fonds propres d’Afriland First Bank CD s’élevaient à 48,05 millions USD à cette date-là. Il s’agit d’une situation largement satisfaisante puisque la BCC affirme elle-même que sur un total de 15 banques opérant sur le marché congolais, 7 sont loin du minimum de fonds propres requis qui, à cette date, est de 30 millions USD.

 90 millions USD de besoins en fonds propres

Poursuivant notre enquête, nous nous sommes demandé dans quel état se trouve Afriland First Bank CD au moment de sa mise sous administration provisoire. La Banque centrale publie périodiquement des rapports sur la situation bancaire. Cependant, ces publications ne sont pas effectuées en temps réel. Il faudra attendre le prochain rapport pour disposer des chiffres sur l’état de santé d’Afriland First Bank CD.

Toutefois, lorsqu’elle a pris sur elle d’écrire aux actionnaires majoritaires le 17 mars 2022, l’actuelle gouverneur de la Banque Centrale du Congo n’a pas annoncé de bonnes nouvelles. Au contraire, elle n’y pas allée par quatre chemins pour situer les besoins financiers – à cette date-là – de la banque à 90 millions USD. Marie-France Malangu Kabedi Mbuyi  se base sur les conclusions dites concordantes de deux rapports d’audit, menés respectivement par les services de la BCC et le commissaire aux comptes. Contactés, les actionnaires majoritaires ont affirmé n’avoir pas reçu ces rapports.

La prochaine étape de notre interrogation consiste à trouver la réponse à la question de savoir qui gère Afriland First Bank CD depuis le 1er juillet 2021. Car si la banque se portait bien à la veille de la suppression de ses organes sociaux, ainsi que le reconnait la BCC elle-même, il va falloir interroger la responsabilité de la gestion entre juillet 2021 et mars 2022.

Pour répondre à cette question, il importe de se référer à une correspondance signée du gouverneur de la BCC le 26 août 2021. Malangu Kabedi Mbuyi instaure au sein de la banque commerciale une équipe de surveillance rapprochée de la BCC à qui elle assigne comme mission d’« accompagner la banque dans la correction des failles actuelles de gouvernance identifiées ».

 Surveillance rapprochée

Mais dans les faits, cette mission participe à la gestion quotidienne de la banque, comme le confirme la note adressée par la BCC le 1er septembre 2021 à la direction générale d’Afriland First Bank CD portant sur les modalités de collaboration entre la mission de la BCC et Afriland First Bank CD. Exemple concret : « la banque est tenue de transmettre à la mission journalièrement les états de clôture des caisses de la veille, notamment les bordereaux de clôture de chaque caisse ainsi que les pièces comptables justifiant les différentes opérations passées par lesdites caisses».

La banque doit aussi « soumettre pour avis à la mission avant leur exécution toute transaction (retrait transfert, mise en place de crédit, mise à disposition de fonds dont le montant est supérieur ou égale à 500.000 $ ou son équivalent) dans d’autres devises et aussi toutes les dépenses courantes de fonctionnement dont les montants sont supérieurs ou égaux à 50.000$. A cet effet, toutes les transactions en cours d’exécution et se rapportant à ces conditions doivent être suspendues et soumises à l’avis de la mission. »

Tout cela démontre que la BCC prenait part de façon active à la gestion quotidienne de la banque, en décidant en dernier ressort sur les opérations les plus importantes. Bien plus, la mission de surveillance rapprochée va de manière méthodique poser un certain nombre d’actes qui ont bloqué pendant longtemps le retour à l’orthodoxie dans la gestion d’Afriland First Bank CD.

Premièrement, la BCC va informer Afriland First Bank CD qu’en l’absence d’un président de conseil d’administration agréé par elle, un conseil d’administration n’est valablement convoqué que si 100% des administrateurs signent la convocation. Ce qui est une véritable curiosité au regard des dispositions de l’OHADA qui fixe cette exigence aux 2/3 des administrateurs. 

Deuxièmement, un conseil d’administration est convoqué pour le 4 novembre 2021 avec pour ordre du jour la nomination d’un nouveau directeur général et la nomination d’un deuxième directeur général adjoint. Mais curieusement, le 28 octobre 2021, donc 6 jours avant, 3 administrateurs d’Afriland First Bank CD sur les 5 restants vont également voir simultanément leurs agréments retirés par la BCC, laissant ainsi juste 2 administrateurs au sein du conseil d’administration d’Afriland First Bank CD.

Peut-on à ce niveau parler de hasard quand on sait que le minimum requis pour permettre au Conseil d’administration de fonctionner est de 3 administrateurs ? Il y a de quoi interroger les véritables objectifs de cette fameuse mission de la BCC qui au regard des faits s’est avérée être une mission d’obstruction en lieu et place d’une mission d’accompagnement, comme elle l’avait elle-même annoncé. Pour couronner le tout, par courrier daté du 18 novembre 2021, l’agrément des deux derniers administrateurs restants est retiré, laissant ainsi Afriland First Bank CD sans administrateur.

Comment comprendre qu’après avoir géré la banque pendant 7 mois et bloqué toute tentative de retour à l’orthodoxie pendant autant de temps, la BCC écrive aux actionnaires qu’elle a minutieusement écartés de toute gestion et de tout contrôle, pour leur présenter un déficit de fonds propres s’élevant à 90 millions $ ? Si ce déficit est réel, comment et par qui a-t-il été creusé ?

 Recapitaliser ou ne pas recapitaliser ?

A cette étape de notre enquête, le lecteur aimerait certainement savoir ce que pensent les actionnaires majoritaires détenant 95,6% des actions d’Afriland First Bank CD de l’exigence de recapitaliser. La réponse à cette question est contenue dans la correspondance qu’ils ont adressée au gouverneur de la BCC le 30 mars 2022, en réponse au courrier reçu de la BCC du 17 mars. Dans cette lettre, ils ne s’opposent pas par principe à une recapitalisation, mais ils conditionnent toute intervention de leur part par un audit contradictoire des faits et une entente concertée sur le niveau des provisions que déclare unilatéralement la BCC car les provisions sur crédits s’évaluent dossier par dossier, sur base des faits et de la règlementation. Une fois cette vérification contradictoire achevée, les actionnaires majoritaires se disent mieux à même d’envisager des actions de redressement financier si nécessaire et également, d’établir les responsabilités.

Selon nos enquêtes, la BCC n’aurait pas donné suite à cette demande ; elle a préféré, au cours d’une réunion de concertation avec les actionnaires majoritaires tenue le 1er juin 2022, souligner la nécessité de trouver une solution financière pour sauver l’épargne des Congolais. Le 6 juin 2022, le vice-président d’Afriland First Group Jean-Paul Kamdem a réitéré cette position dans un communiqué disponible sur les réseaux sociaux. Il revient sur la disposition des actonnaires majoriatires à subvenir à tout besoin  établi de façon contradictoire : « Notre groupe panafricain, écrit-il, dispose de moyens humains, matériels pour respecter ses engagements et rien que ses engagelents. »

Décisions non appliquées

Nous poursuivons notre enquête, en nous demandant si les actionnaires majoritaires sont restés les bras croisés depuis un an, au lieu de saisir les instances judiciaires pour recouvrir leur propriété.

C’est ainsi que nous découvrons une cascade de procès devant le tribunal du commerce : entre le 22 avril 2022 et le 3 mai 2022, trois juges de cette juridiction ont rendu deux ordonnances en instance et un en appel, exécutoire sur minute qui désignaient et confirmaient respectivement Mme Ide Bopilo et M. Lionel Foko comme administrateur ad hoc et administrateur ad hoc adjoint à la tête d’Afriland First Bank CD.  Au terme de cette procédure, l’ex-DGA Patrick Kafindo, qui était déjà désavoué par le Conseil d’administration, perd définitivement la qualité pour agir au nom d’Afriland First Bank CD. Mais cela ne l’empêche pas de continuer à usurper ce titre, à s’arroger des hommes en tenue qui gardent l’entrée de son bureau sis Boulevard du 30 juin.

Jusqu’à la mise de la banque sous administration provisoire, aucune de ces décisions de justice n’avait été exécutée.

Suspension à titre conservatoire

Cet imbroglio juridico-administratif est fondé, nous le voyons, sur la réaction vigoureuse du gouverneur de la Banque centrale suite à la suspension de l’ex-Directeur général. Puisque c’est cela le point de départ de cet imbroglio, c’est à se demander si l’acte de suspension était fondé. Nous avons consulté l’instruction n°21 sur la gouvernance des banques en RDC, nous nous rendons compte qu’il n’y est nulle part mentionné une quelconque interdiction de suspension à titre conservatoire du directeur général par le PCA.

Nous avons également consulté les statuts d’Afriland First Bank CD dont l’article 24 qui dispose : « La durée du mandat du Directeur Général est fixée par le conseil d’administration sur proposition du président dudit conseil. Le Directeur Général peut être révoqué à tout moment par le conseil d’administration. Toutefois, en cas d’urgence et de péril en la demeure, et dans l’intérêt supérieur de la société, le président du conseil d’administration peut prendre toute mesure conservatoire. »

Reste le Code du travail congolais ; en matière de suspension de fonction, la loi N° 15/2002 du 16 octobre 2002 dispose : « Pour besoin d’enquête, l’employeur a la faculté de notifier au travailleur, dans les deux jours après avoir eu connaissance des faits, la suspension de ses fonctions. La suspension des fonctions pour besoin d’enquête est une mesure conservatoire qui ne peut être confondue avec la suspension du contrat de travail prévue à l’article 57. »

Si l’acte posé par le PCA ne contrevenait à aucune instruction de la BCC, était conforme aux statuts internes et au code du travail congolais, comment expliquer la réaction rapide et vigoureuse du gouverneur de la BCC retirant l’agrément au PCA et instruisant de rétablir l’ex Directeur général dans ses fonctions ? En effet, le lendemain, 2 juillet 2021, Deogratias Mutombo adressait aux Administrateurs de First Bank CD une lettre d’injonction intitulée : « Situation inquiétante de la gouvernance au sein de votre Établissement de Crédit ».

Par cette lettre dont nous avons obtenu copie, il annule la suspension des fonctions infligée au Directeur Général et s’insurge contre la démarche dite unilatérale du PCA qui n’aurait pas, selon lui, consulté les autres administrateurs. Or, les administrateurs, réunis en session extraordinaire le 6 juillet 2021, ont confirmé la suspension du directeur général et confirmé que le Président les avait bel et bien consultés et informés avant d’adresser au Directeur Général la lettre de suspension de ses fonctions.

Le soupçon ou l’accusation d’illégalité étant levé, que reste-t-il ? Vous me direz qu’une procédure judiciaire a été intentée par le procureur de la république et que les administrateurs ont été condamnés au pénal. Mais l’affaire ne s’arrête pas là ; nos enquêtes nous ont permis de découvrir que le même tribunal par voie de rétractation en respectant le principe juridique du contradictoire a rendu un jugement acquittant Dr Paul K. FOKAM et consorts, avec à la clé un certificat de non appel et de non pourvoi.

 Conflit d’actionnaires ou expropriation ?

Après avoir fait le tour de la question sur le plan factuel, terminons notre enquête en tirant la conclusion qui semble découler de ce lent assemblage des faits. La confiance est le premier capital de toute banque. La perdre c’est tout perdre. Tout se passe comme si une banque en bonne santé a été précipitée dans une zone de clair-obscur pour que la confiance que le public place en elle s’effrite et justifie l’arrivée des personnalités en embuscade pour s’approprier la propriété d’autrui et surtout masquer certaines opérations qui auraient pu les confondre.

En janvier 2021, la presse internationale avait abondamment épilogué sur l’affaire Amirac Mining, du nom de cette entreprise prête-nom derrière laquelle se cachent des personnalités du sérail. On avait alors appris que cette nébuleuse d’Amirac Mining avait détourné 20 millions de dollars dans le cadre l’achat de la mine de l’Ituri. Une somme décaissée des livres d’Afriland First Bank CD sans respect des procédures en vigueur et jamais remboursée.

Si le conseil d’administration d’Afriland First Bank CD était en place et veillait, comme par le passé, à la définition des orientations stratégiques, à la surveillance de l’exécutif, serions-nous arrivés à la mise sous administration provisoire ? Si la direction générale était régulièrement dotée, menant correctement les opérations bancaires et rassurant la clientèle au jour le jour, serions-nous arrivés à la mise sous administration provisoire ?  Si les décisions judiciaires étaient appliquées, serions-nous arrivés à la mise sous administration provisoire ? Si la BCC avait accepté la proposition d’un audit contradictoire, serions-nous arrivés à la mise sous administration provisoire.

Si nous sommes vraiment en face d’un projet d’expropriation, c’est le moment de se poser la question des conséquences, tant sur le plan social que sur le plan politique. 

Au moment où nous écrivons ces lignes, le président de l’Assemblée provinciale de Kinshasa, Godé Mpoy, se réfugie derrière les difficultés d’Afriland First Bank CD pour justifier les nombreux mois d’arriérés que lui réclament les assistants parlementaires.

Il faut s’attendre à ce que plusieurs acteurs utilisent cette cacophonie pour justifier leurs incuries. Plus grave, il faut craindre que l’épargne du public soit dilapidée et que les uns et les autres se rejettent cette lourde responsabilité. Les clients pourraient descendre dans la rue pour réclamer leur épargne, ajoutant ainsi à ce climat d’insécurité généralisé dont le pays peine à se débarrasser comme d’un parasite éternel.

La RDC est engagée dans une phase de sortie du chaos et fait des yeux doux aux investisseurs. La publicité négative autour de cette expropriation pourrait porter un coup à l’attractivité du pays en termes d’investissements. Les investisseurs étrangers au fait de cette actualité considèreraient ainsi le pays comme étant impropre aux investissements. Le cas de la First Bank CD pourrait crédibiliser la thèse sombre selon laquelle la RDC ne protège pas la propriété privée des biens de production, que les décisions judiciaires ne sont pas appliquées et que la mafia a raison de la transparence.

L’affaire Afriland First Bank CD se situe aussi et surtout dans un contexte où la RDC est en négociation avec le FMI pour accéder à des financements. Après plusieurs rounds de négociations qui s’étalent sur pas moins de trois semaines, les délégations du gouvernement et du FMI s’étaient mises d’accord sur le contenu d’un programme de trois ans en mai 2021. Le programme prévoit le décaissement d’un milliard et demi de dollars sur 3 ans. Si elle est établie, l’expropriation d’une banque systémique pourrait brouiller les négociations avec le FMI et amener cette dernière à suspendre le décaissement des fonds.

Les yeux sont désormais tournés vers le comité d’administration provisoire nommé par la BCC. L’équipe constituée de 7 membres dispose d’un délai de 180 jours pour établir un plan de redressement.

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